Au cœur du nord ouest de la Mongolie se situent les montagnes de l’Altaï, les plus hauts sommets du pays au ciel bleu.
Rien que que le fait d’évoquer ces montagnes suffit à provoquer des frissons aux voyageurs férus de grands espaces, d’aventures lointaines et de paysages somptueux.
C’est dans cette région que vivent les Kazaks, une ethnie qui peuple à 95% cette région oubliée de la capitale et des dirigeants du pays, perdue à l’autre bout de la Mongolie. Ils se sont installés dans l’Altaï depuis la fin du XVIIeme siècle, après qu’un empereur Mandchou eu exterminé des mongols qui habitaient cette contrée.
Ici on ne se croirait pas en Mongolie, mais plus en Asie centrale.
Et pour cause, les Kazaks ont une religion et un mode de vie assez différent des Khalkhas, qui peuplent à 80% le reste du pays et qui sont bouddhistes. En effet les Kazakhs sont musulmans et donc la petite ville de Ogii est parsemée ici et là de mosquées, et la journée est rythmée au son de l’appel à la prier du muezzin, du haut de son minaret.
Les kazaks parlent leur propre langue, ont leurs propres coutumes et traditions… dont la chasse à l’aigle royal de l’Altaï, un animal de légende dans la culture Kazakhs, un être magique, le seul à pouvoir fixer le soleil.
Au fils des siècles, selon un savoir-faire ancestral transmis de père en fils, ils sont devenus des maîtres dans l’art de dresser le burkit, l’aigle royal de l’Altaï, le plus grand des aigles de l’hémisphère nord, animal mythique pour tout un peuple.
Comment ces maîtres des aigles procèdent-ils? Les chasseurs à l’aigle (berkutchi en kazakh) capturent plutôt les aigles femelles, pour leur agressivité et leur envergure, qui peut atteindre 2.20m pour un poids de 10kg.
Ils capturent l’aigle quand il est encore un aiglon, dans son nid, avant son premier vol lorsqu’il ne sait pas encore marcher.
Une fois capturé, le chasseur va l’affamer pendant quelques jours avant de lui donner à manger à la main. Puis l’aiglon est nourri avec de la viande crue tous les jours, les repas s’espaçant au fur et a mesure du dressage.
Une fois que l’aigle est habitué à manger dans la main de son maître ce dernier va le socialiser et l’habituer à la présence des chevaux et des chiens de la yourte. Le jeune rapace apprend aussi à rester en équilibre sur les bras de son maître et à réagir à ses appels.
L’entrainement peut alors commencer. Il va consister à entraîner l’aigle à chasser la fourrure d’un renard ou d’une marmotte traînée au bout d’une corde, soit directement à la main soit traînée depuis un cheval, pour simuler une proie en mouvement. A chaque fois que l’aigle attaque le leurre avec succès il est récompensé par un bout de viande.
Ces aigles peuvent vivre jusqu’à 30 ans, mais au bout de 10 ans de bons et loyaux service ils sont relâchés dans la nature.
Pour chaque année de sa vie, l’aigle a un nom. Par exemple balapan pour 1 an, timik pour 2 ans, koumtuleik pour ses 4 ans…
La saison de chasse à l’aigle a lieu pendant l’hiver, lorsque les renards et autres gibiers sont plus gros et revêtent leur pelage de saison.
En général les jeunes hommes qui intéressent à la chasse à l’aigle commencent à apprendre les rudiments du dressage vers 15 ans. Il faut s’avoir que l’aigle n’est pas considéré comme un animal de compagnie au sein du foyer, comme un chien ou un chat. Les femmes et les enfants n’ont pas le droit de jouer avec lui, seul le burkit cheu, le chasseur à l’aigle, a le droit de le toucher, de le nourrir, de faire sa toilette…
Après avoir passé la nuit à l’aéroport de Oulan Bator je prends l’avion à 6h du mat.
J’atterris 3h plus tard à Ogii, complètement dans le pâté à cause de la pilule anti mal des transports que j’ai prise, mais c’est tant mieux car ça m’a empêché de trop cogiter et de penser au crash.
Mon dernier vol c’était il y a 8 mois mais rien n’y fait, je déteste toujours autant les avions!
Donc après plusieurs mois d’attente je débarque enfin de mon petit avion sur la piste de l’aérodrome de Ogii.
Ce dernier est minuscule par rapport à l’aéroport de Oulan Bator, et en posant mon sac sur le tarmac j’ai vraiment l’impression d’avoir atterri au bout du monde.
Le paysage a complètement changé. Des montagnes extraordinaires, qui semblent avoir été sculptées à la hache, cernent la petite ville de Bayan-Ogii et l’aérodrome. Cela me rappelle le Laddak, en inde himalayenne, avec ces paysages complètement dépouillés et arides mais qui ont en fait beaucoup de caractère. Ici on est très loin de l’image classique des steppes verdoyantes, symboles de la Mongolie.
Pour aller jusqu’en ville il faut marcher 6km. J’ai pas trop envie mais bon je me force, le stop est payant en Mongolie et puis autant marcher, ça me réveillera.
Le froid aussi va me réveiller, j’ai bien failli remonter dans l’avion quand j’ai reçu ma première rafale de vent glacé en pleine figure!
Je commence à marcher mais un couple de mongols s’arrêtent et me disent qu’ils peuvent m’emmener en ville gratuitement. C’est vraiment sympas, je n’ai rien demandé en plus!
Ils me larguent sur la place principale de la ville, je rentre dans un hôtel et je demande si je peux utiliser leur téléphone pour appeler mon auberge de jeunesse que j’ai repéré sur internet, ils me disent pas de problème.
C’est vraiment cool ça, les gens du coin sont super accueillant et n’hésitent pas une seule seconde à aider les touristes en perdition. Je n’ai pas rencontré cette mentalité de partout en Mongolie, loin de là.
Bref un peu plus tard je débarque à la guesthouse, Travellers Guest House, qui se compose de 5 ou 6 yourtes. Les proprios sont un peu débordés car dans quelques jours c’est le festival des aigles et les clients affluent, donc ils montent des yourtes supplémentaires dans le jardin pour les gens qui vont arriver. Moi je suis tranquille, je paie pour 5 jours, je suis sûre d’avoir un lit dans une des yourtes.
Le soir il fait un froid de canard mais les proprios font le tour des yourtes pour faire un feu dans le poêle, donc ça va.
Bref pas grand chose à dire sur les trois premiers jours à Ogii, il n’y presque rien à faire dans cette petite ville, je fais la larve dans mon lit et je m’exerce à l’harmonica quand il n’y a personne d’autre dans la ger (yourte en mongol).
Samedi matin, c’est le grand jour!!!
Cela fait des mois que j’attends ce moment, depuis que j’ai rencontré le chasseur à l’aigle (qui en avait rienàa faire de Haiko et moi), au Kyrgystan. Je m’étais dis que je voulais vraiment en voir d’autres, mais en moins touristique cette fois.
Bon alors pour l’aspect touristique, c’est raté lol! En effet le festival avait attiré un très grand nombre d’étrangers, venus des quatre coins du globe pour assister à ce rendez vous mondialement connu.
Des voyageurs sans le sous en sac à dos jusqu’au touriste américain dont l’appareil photo est presque plus cher que 6 mois de mon voyage, toute la palette de touristes possibles et imaginables était représentée. Mais même en étant touristique, ce festival est quand assez authentique car il y a un grand nombre de Kazakhs qui viennent encourager les amis et membres de la famille qui participent au concours. C’est un jour de fête pour toute la communauté de la région.
Après avoir parcouru une dizaine de km en bus sur une piste poussiéreuse nous arrivons à l’endroit où le festival va se dérouler deux jours durant, dans un paysage grandiose à couper le souffle: une large vallée aride, une rivière qui serpente dans le désert au loin, des montagnes acérées et majestueuses, une immense colline rouge et rocailleuse d’où les aigles prendront leur envol lors des épreuves qui désigneront le meilleur chasseur à l’aigle de l’année.
Je commence à marcher sur ce décor de film lorsque à l’horizon j’aperçois les premiers chasseurs à l’aigle kazakhs, qui ne vont plus quitter ma vision pendant deux jours entiers.
Ils s’avancent en ligne sur leur fidèle monture, dans leurs magnifiques et épais habits traditionnels, spécialement fait pour les protéger du froid mordant de l’Altaï pendant leur chasse, qui peut durer parfois plusieurs jours.
Ils ont un regard fier, leur visage est marqué par le soleil et les années de nomadisme. Ils ont sorti leur plus belles parures pour ce rendez-vous annuel. Les selles et les harnais des chevaux brillent de mille feux. Chaque cavalier a son aigle qui tient en équilibre sur leur bras emmitouflé d’un épais gant de cuir, le bialeye, pour protéger le Kazakhs des griffes acérées de son aigle.
Certains ont parcouru 200 km à cheval pour se rendre au festival. Du coup ils ne peuvent pas porter leur aigle à bout de bras comme ça, c’est impossible, l’aigle serait trop lourd pour une si grosse distance. Du coup ils soutiennent leur bras sur un bâton en bois, le bardak.
Les cavaliers se serrent joyeusement la main lorsqu’ils se croisent. La plupart se connaissent depuis des dizaines d’années mais ne se croise qu’une fois par an lors de ce festival qui est l’occasion de renouer les amitiés et de prendre des nouvelles de chacun.
Puis pendant une bonne heure les chasseurs arrivent, parfois en groupe, parfois seul.
Je suis émerveillée, je ne sais plus où donner de la tête, j’appuie frénétiquement sur mon appareil photo car la scène qui se déroule sous mes yeux est presque irréelle.
Petit hic cependant: la météo est assez maussade, et le soleil ne va faire que quelques maigres apparition lors de cette première journée. Du coup l’absence de ces précieux rayons de soleil va accentuer le froid qui sévît ce matin là. Pour un nain de jardin frileux comme moi, c’est très dur à supporter, même avec la dizaine de couche de vêtements que j’ai enfilée le matin dans la yourte.
La première épreuve consiste à passer sur sa monture au galop, avec son aigle et dans ses plus beaux habits, sous son chapeau en peau de renard, devant un jury qui va choisir le plus beau costume traditionnel kazakhs.
Cette épreuve va durer toute la matinée car ce sont près de 70 chasseurs à l’aigle qui se disputent la première place du concours.
Puis en début d’après midi l’épreuve la plus intéressante commence.
Depuis la plaine le chasseur appelle son aigle qui se trouve au milieu de la colline. Lorsqu’il entend la voix de son maître qui l’appelle, l’aigle est censé s’envoler pour se poser sur son bras.
Le jury va noter le temps que l’aigle va mettre pour faire cela, ainsi que la précision de son arrivée sur le gant du chasseur. Au moins il met de temps, au plus son maître gagne des points.
Les candidats vont se succéder les uns après les autres. Certains se font obéir au doigt et à l’œil et voient leur aigle fondre sur eux en quelques secondes seulement.
D’autres n’ont pas cette chance et voient leur aigle partir de l’autre côté de la montagne et n’en faire qu’à leur tête!
Parfois un aigle s’élance dans la direction de son maître, puis fait un 180 degrés au dernier moment , pour aller se reposer sur la colline, ou plus loin. Parfois même l’aigle ne bronche pas de 2 cm et ne décolle carrément pas…
Le lendemain le soleil est de retour. L’épreuve de dressage du jour consiste à traîner une peau de renard à l’arrière d’un cheval, et de calculer le temps et la distance que les aigles vont mettre pour attraper ce leurre. Cette fois ci ces derniers sont lâchés depuis le sommet de la colline.
Pour avoir une meilleure vue je monte jusqu’au sommet de celle-ci. La haut le spectacle est magnifique, avec les montagnes de l’Altaï qui se dressent, majestueuses et qui crèvent l’horizon bleu de cette contrée aride.
Et au milieu de ce décor époustouflant il y a des dizaines de chasseurs à l’aigle qui attendent leur tour afin de lancer l’aigle de leur collègue dans les airs. Enfin je dis lancer mais ce n’est pas tout à fait vrai. En effet une fois que le chasseur est prêt, son collègue enlève le mini casque de cuir qui aveugle l’aigle, le tomaga. Le tomaga est utilisé pour que l’aigle ne soit pas effrayé par toute l’agitation qui règne autour de lui. Puis l’aigle doit décoller tout seul, sans aucune aide ni aucun mouvement de la part de celui qui le porte, cela serai de la triche sinon. Un des organisateurs est au sommet de la colline avec les chasseurs pour veiller à ce que tout se passe dans les règles de l’art.
Voir ces aigles prendre leur envol, crever le ciel à une vitesse qui peu aller jusqu’à 250 km/h (!) et fondre sur la peau du renard … C’est vraiment impressionnant!
Le festival se termine le dimanche en fin d’après midi, avec la remise des récompenses. Tous les chasseurs à l’aigle sont réunis afin que les touristes les prennent en photo tous ensembles. J’ai pris 400 photos en deux jours, et encore j’en ai effacé une bonne partie!
Voila, le Festival des Aigles est terminé. C’était très sympa bien que très touristique vous l’aurez compris.
De nos jours la chasse à l’aigle dans cette région ne se pratique plus que pour perpétuer la tradition, ainsi que pour les touristes. Il est bien loin le temps où les Kazakhs chassaient par nécessité!
Pour rentrer à la capitale je vais prendre le bus. J’aurai bien pris l’avion à nouveau, mais l’aller m’a deja coûté un bras… C’est donc la mort dans l’âme que je me dirige le lundi matin vers la gare routière. Je dis la mort dans l’âme car pour rejoindre Oulan-Bator il ne faut pas moins de 50h de bus. Et franchement, j’ai pas trop envie! En plus j’ai entendu des gens qui disaient que ça pouvait aller jusqu’à cinq jours si le bus tombe en panne (ce qui arrive souvent apparemment)!!! A l’auberge j’ai rencontré des israéliens qui ont mis trois jours…
En plus je n’ai vraiment pas de chance, comme une mega truffe internationale j’ai choisi un siège avec une personne en face de moi car les deux premiers rangs dans le bus sont face à face… Alors c’est pas trop grave si j’ai un nain de jardin dans mon genre en face, mais avec ma chance légendaire j’ai fait le trajet avec….. une équipe de lutte mongole!!!!! Yeaaapaaa!
Donc je me suis retrouvé contre la vitre, avec 0 cm pour bouger mes genoux qui étaient broyés par les genoux des trois lutteurs qui m’entouraient… Incapable de bouger pendant les 24 premières heures!
En plus ils se sont mis à jouer aux cartes à côté de moi, donc j’étais encore plus esquichée que des petits poids dans leur boite de conserve!
Après la première nuit j’avais des douleurs hallucinantes dans les genoux, dix fois pires que lorsque j’ai fait du cheval!
Le deuxième après-midi je me suis levée et j’ai dis à un lutteur d’aller s’asseoir à ma place à côté de ses potes lutteurs, parce que j’en avais un peu ras la casquette d’être à côté de ces gros tas sumo boutonneux plein de testostérone, complètement immatures, qui hurlaient dans le bus jusqu’à 3h du mat sans aucun respect pour les autres voyageurs qui subissaient ces affreux jojo.
Bref le mec n’a rien dit, il a du voir que j’allais exterminer toute son équipe, il est allé s’asseoir à ma place et j’ai pu bouger un peu mes jambes pendant les dernières 24h.
J’arrive à Oulan-Bator dans un état de décomposition avancée et je pense que je n’ai jamais été autant heureuse de descendre d’un bus! J’ai eu beaucoup de chance, le trajet n’a pris que 48h.
Je n’ai donc pas pu battre mon record de 52h de Madagascar. Une prochaine fois peut-être!
ps: j’ai pris un milliard de photos comme à mon habitude, et je n’arrive pas à choisir lesquelles mettre sur mon blog, donc je les mets quasiment toutes, mais beaucoup se ressemblent. Du coup la page va sans doutes mettre longtemps à charger… Sorry!
Parmi les concurrents il y avait aussi une fillette de 9 ans, qui participait aux épreuves avec son père.
Video envol de l’aigle depuis le sommet de la colline, puis on le voit arriver tout en bas sur le leurre tire par le cheval.
Kyz Kuar: la femme du couple frappe son maris avec un fouet pendant que leurs chevaux sont au galop, pour souhaiter la naissance d’un enfant dans l’année qui suit.
Video epreuve de la premiere journee, avec un aigle qui atterrit sur le bras de son maitre qui agite un morceau de viande.
Kokpar: duel pour s’emparer d’une carcasse de mouton. C’est un peu comme le bouzkachi que j’ai vu au kirgystan sauf qu’ici ce n’est pas deux équipes qui s’affrontent mais seulement deux personnes.